Bonjour à toutes et tous,
Et bienvenue aux nouveaux abonné-es à cette newsletter ainsi qu'aux 210 personnes qui ont rejoint le compte instagram @en_crise_podcast depuis le mois dernier. Merci pour votre soutien et pour vos mots.
Heureuse de vous retrouver pour cette newsletter mensuelle. Le mois de mai avait été éreintant et éprouvant, je réfléchissais à la teinte que j'allais donner au mois de juin.
Je n'en ai pas encore parlé dans cette newsletter je crois, mais j'ai commencé une école de psycho qui m'enrichit beaucoup, et j'ai hâte de vous en partager plus sur mes apprentissages et découvertes dans les mois à venir.
Je crois que ce qui me fascine le plus dans cet apprentissage (thérapie Gestalt, pour les plus aguerri-es), c'est qu'il n'y a pas de réponse exacte, tout est mouvement, tout est changeant. On ne fait jamais deux fois la même expérience. Chaque expérience vécue est unique. Et il n'y a pas de réponse prédéfinie ou de bonne réponse à donner en tant que thérapeute, il s'agit de tâtonner, ensemble, avec le patient.
Je crois que c'est cette humilité face au mystère de la nature humaine, et de la nature, en général, qui vient donner sa couleur au mois de juin. Humilité et gratitude.
Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien, disait Socrate.
Avoir l'humilité de ne pas savoir grand chose. Avoir l'humilité de savoir que nous ne sommes pas grand chose dans le grand mystère de la nature et de la vie. Et savoir être plein de gratitude pour cette vie qui nous est accordée.
Je vous partageais des extraits du livre Yoga d'Emmanuel Carrère le mois dernier, je ne résiste pas à l'envie de vous en partager quelques autres :
"Le maître tibétain Chögyam Trungpa avait coutume de dire que nous ne dédions au présent que 20% de notre activité cérébrale. Les 80% qui restent, certains les tournent plutôt vers le passé, d’autres plutôt vers l’avenir. Moi, par exemple, j’anticipe beaucoup et me remémore peu. La nostalgie m’est étrangère. On peut y voir la marque d’un caractère confiant, optimiste, allant de l’avant, je crains que ce ne soit plutôt celle d’un caractère obsessionnel parce qu’on sait très bien qu’on ne changera pas le passé alors que l’avenir, on peut garder l’illusion de le contrôler. Pour me retenir sur cette pente, je me répète souvent la magnifique sentence juive : « Tu veux faire rire Dieu ? Parle-lui de tes projets. » Ça ne m’empêche pas de continuer à le faire rire."
Je découvrais avec ce livre cet auteur dont j'entends parler depuis des années, et je me suis régalée de sa plume et de sa capacité à raconter avec discernement, humour et justesse, ses démons intérieurs. Ces choses impalpables et incompréhensibles, je pense, pour celles et ceux qui ne les ont pas vécues.
Ça me rappelle une phrase que l'on m'a dite récemment, qui m'a marquée et que j'ai donc notée : « Tu as une vie simple, mais pas facile. »
Je ne résiste pas non plus à vous partager cet autre extrait de Yoga, où Emmanuel Carrère explique la différence entre les malheurs qu’il qualifie d’ordinaires, et les malheurs névrotiques.
« Je croyais mon amour à l’abri des tempêtes. Je ne suis pas fou : je sais bien que tout amour est menacé - que tout, de toute façon, est menacé -, mais je me représentais cette menace comme venant désormais de l’extérieur, plus de moi. Freud a une seconde définition de la santé psychique, aussi éclatante que la première : c’est qu’on n’offre plus de prise au malheur névrotique, seulement au malheur ordinaire. Le malheur névrotique, c’est celui qu’on se fabrique soi-même, sous une forme affreusement répétitive, le malheur ordinaire celui que vous réserve la vie sous des formes aussi diverses qu’imprévisibles. Vous avez un cancer ou, pire encore, un de vos enfants a un cancer, vous perdez votre travail et tombez dans la misère, malheur ordinaire. Pour ma part, j’ai été très épargné par le malheur ordinaire : pas de grand deuil encore, pas de problème de santé ni d’argent, des enfants qui font leur chemin, et j’ai le rare privilège de faire un métier que j’aime. Pour ce qui est du malheur névrotique, par contre, je ne crains personne. Sans me vanter, je suis exceptionnellement doué pour faire d’une vie qui aurait tout pour être heureuse un véritable enfer, et je ne laisserai personne parler de cet enfer-là à la légère : il est réel, terriblement réel. »
Un autre livre que je viens de dévorer (avec un peu de honte de confier que je ne l'avais pas encore lu) : Sorcières, la puissance invaincue des femmes, de Mona Chollet.
Dans un passage, elle raconte comment elle s'est toujours sentie bête, mal à l'aise, gauche, dans certaines circonstances, notamment dans les matières scientifiques dites plus "masculines". Elle explique alors que, de la même manière que l'histoire a été écrite par les hommes (et par les vainqueurs hommes), que toute la science a été construite par ces mêmes hommes, sciences que nous avons toutes et tous assimilées comme vérité absolue.
"Je formule et reformule sans cesse une critique de ce culte de la rationalité (ou plutôt de ce qu’on prend pour de la rationalité) qui nous paraît si naturel que nous ne l’identifions souvent même plus comme tel. Ce culte détermine à la fois notre manière d’envisager le monde, d’organiser la connaissance à son sujet, et la façon dont nous agissons sur lui, dont nous le transformons. Il nous amène à le concevoir comme un ensemble d’objets séparés, inertes et sans mystère, perçus sous le seul angle de leur utilité immédiate, qu’il est possible de connaître de manière objective et qu’il s’agit de mettre en coupe réglée pour les enrôler au service de la production et du progrès. Il reste tributaire de la science conquérante du XIXe siècle, alors que, depuis, la physique quantique est venue jeter le trouble dans cet optimisme, pour ne pas dire dans cette arrogance.
Nous sommes plutôt dans un monde où chaque mystère élucidé en fait surgir d’autres et où, selon toute vraisemblance, cette quête n’aura jamais de fin ; d’un monde où les objets ne sont pas séparés, mais enchevêtrés les uns aux autres ; où l’on a d’ailleurs affaire plutôt à des flux d’énergie, à des processus, qu’à des objets à l’identité stable ; où la présence de l’observateur influe sur le déroulement de l’expérience ; où, loin de pouvoir s’accrocher à des règles immuables, on constate de l’irrégularité, de l’imprévisibilité, des « sauts » inexplicables. (…)
Tous ces penseurs m’ont aidée à préciser mon malaise face à la civilisation dans laquelle nous baignons ; face à son rapport au monde conquérant, tapageur, agressif ; face à sa croyance naïve et absurde dans la possibilité de séparer le corps de l’esprit, la raison de l’émotion ; face à son narcissisme aveugle - voire allergique - à tout ce qui n’est pas elle ; face à son habitude de défigurer son territoire par des aberrations architecturales et urbanistiques ; face à ses arrêtes trop vives, à ses lumières trop crues, face à son intolérance à l’ombre, au flou, au mystère ; face à l’impression générale de marchandisation morbide qui s’en dégage."
Ce passage a beaucoup résonné, à l'heure où nous arrivons à la fin d'un modèle de surconsommation, à l'heure où notre bêtise collective nous pousse à détruire la planète sur laquelle nous habitons. À quel moment avons-nous cessé d'être connecté-es à la beauté et au mystère de la nature ?
Pour terminer cette newsletter, qui va être envoyée au moment du résultats des élections du premier tour des élections législatives -qui me terrifient-, et à l'heure où le RN n'a jamais été aussi proche du pouvoir, je finirai par ce partage d'un autre extrait de Sorcières :
"De nos jours, rien n’est plus mensonger que cette étiquette « pro-vie » dont s’affublent les militants anti-avortement : un grand nombre d’eux sont aussi sont aussi favorables à la peine de mort ou, aux États-Unis, à la libre circulation des armes (plus de 15 000 morts en 2017), et on ne les voit pas militer avec autant d’ardeur contre les guerres, ni contre la pollution, dont on estime qu’elle a été responsable d’une mort sur six survenues dans le monde en 2015. La « vie » ne les passionne que lorsqu’il s’agit de pourrir celles des femmes. Le natalisme est affaire de pouvoir, et non d’amour de l’humanité. "
"Les hommes ont peur que les femmes se moquent d’eux. Les femmes ont peur que les hommes les tuent." Margaret Atwood.
Dimanche prochain, faisons front.
Je vous embrasse et je nous souhaite d'arriver à vivre ensemble
Marine, d’En Crise
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