La barbie, le migrant et le silence
Le silence, ce n’est pas l’absence de quelque chose, mais la présence de tout.
Bonjour à toutes et à tous,
Pour cette newsletter du mois de Février, je réouvre les notes que j'ai prises dans mon carnet : ce que j'ai lu et que j'ai eu envie de recopier car ça m'a touchée. Et je me retrouve maintenant à les assembler pour voir les grands motifs qui vont ressortir de cet assemblage pêle-mêle. C'est drôle car je les note de manière disparate, mais je finis toujours par réussir à les regrouper en grand ensemble.
Étrange aussi cette sensation de relire des choses écrites précédemment (j'aurais tellement aimé garder mes carnets secrets de l’époque) et retrouver l'état d'esprit dans lequel nous étions quand nous avons écrit telle ou telle chose. Je ne sais pas vous, mais ça donne cette impression d'avoir été 29 personnes différentes ce mois-ci, et je pense qu'on peut même multiplier ces états car ils varient aussi en fonction de la journée : d'hyperactive à paresseuse, d'émotive à dure, de fatiguée à reposée, de Paris à la campagne, de bonnes en moins bonnes nouvelles.
Quelle place donnons-nous à l'autre ?
La première chose que je retrouve est un extrait d'un article de Télérama, sur les réfugiés aux frontières de l'Europe.
Le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, a décidé d’orienter des milliers de réfugiés vers la frontière polonaise, en ouvrant une nouvelle route migratoire en pleine forêt. Les habitants qui y vivent, démunis, aident ces réfugié·es qui sont menacé·es par les autorités et risquent la mort :
"A quelques kilomètres, les gens savent à peine qu’on meurt parmi les arbres, que l’armée a colonisé la forêt. L’Etat fait comme si c’était un problème local. Quelle Europe voulons-nous être ? Cette question nous concerne tous. Ce qui se passe ici, ou en Méditerranée, n’est qu’un prélude, il faudra bien inventer une vie avec ces étrangers, leur faire une place. Pas seulement dans nos cimetières…" témoigne un habitant de Bialowieza.
Cela résonne avec la pièce de Théâtre Passeport, du metteur en scène Alexis Michalik, que je vous recommande grandement. Un coup de poing dans le cœur, qui raconte le quotidien d'immigré·es attendant dans la jungle de Calais la suite d'une vie qu'ils et elles espèrent meilleure.
Quelle place décidons-nous de faire à ces "autres" ? La solution au problème migratoire ne résidera pas dans les projets anti-migrations. Il est juste impossible et vain de vouloir empêcher les gens de sauver leur vie.
Cela fait écho également au film Simone, le voyage d'un siècle, du réalisateur Olivier Dahan, sur l'histoire de Simone Veil, que je n'avais pas encore vu.
On revoit ces scènes terrifiantes, d'elle et sa famille dans les convois qui les amènent à Auschwitz. Puis ces scènes de la marche de la mort, marche ultime quand les SS vidaient les camps pour fuir l'arrivée des troupes soviétiques et déplaçaient tous les déporté·es.
Voir toutes ces familles marcher, avec plus rien si ce n'est l'espoir de réussir à sauver leur vie, fait douloureusement écho avec les images de migrant·es et de réfugié·es que nous voyons aujourd'hui et desquelles nous et nos gouvernements détournons le regard.
Pour terminer sur un dernier écho, je vous partage un extrait d'une interview de Jonathan Glazer, le réalisateur du film La zone d'intérêt :
"Cette famille a la fois ordinaire et hideuse qui vit à un mur du camp de concentration, avec ses ambitions médiocres, ses désirs, elle est humaine, c’est ça l’horreur. Les films qui montrent les nazis comme des monstres ne nous apprennent rien. Et même, ils nous rassurent, on se dit : “oh ça va alors, moi je ne suis pas un monstre, je suis incapable de faire ça.” On ne devrait pas en être si certain. L’apathie est une action. On le constate dans le monde entier, on lit les récits d’autres crimes, d’autres génocides… il y a une violence en nous, qui vient de nous, de notre espèce. C’est à ça qu’on a affaire."
Si vous êtes allé·es le voir au cinéma, preneuse de vos retours en commentaire de cette newsletter (ndlr : à la fin, vous pouvez cliquer sur le coeur si vous aimez cette newsletter, pour la soutenir, et ça vous permet aussi de commenter, ce qui la soutient aussi encore plus, d’ailleurs !)
Féminisme, Barbie & Male Gaze
J'adore et je me bidonne avec les critiques au vitriol de Télérama.
Le film Pauvres Créatures, du réalisateur Yórgos Lánthimos, a divisé la rédaction. Je vous en partage un extrait :
"Pauvres Créatures est d’autant plus pénible qu’il se revendique d’un féminisme pour le moins discutable. Qui consiste à faire d’abord subir à son héroïne (et à son interprète) les pires humiliations, mises en scène avec une gourmandise et une complaisance sadiques. Avec un parcours d’émancipation qui passe forcément par l’expérience du plaisir dans un bordel… Quant à la représentation de la sexualité, parler de male gaze (ou de regard masculin) serait faire encore trop d’honneur à Lánthimos : le terme de teen gaze serait plus adapté, tant les scènes érotiques de Pauvres Créatures semblent avoir été tournées par un adolescent priapique qui ne connaîtrait les femmes que par la fréquentation assidue de YouPorn. Sale gosse, va !"
Pour ma part, j'ai mis du temps à rentrer dans l'univers gothique, morbide et dérangeant du film puis je me suis laissée prendre au jeu et entraîner dans les pérégrinations du personnage de Bella, jouée par Emma Stone, qui est juste impressionnante dans ce rôle.
Un personnage qui découvre le monde et l'explore comme une fillette, sauf qu'elle est dans un corps de femme d'une vingtaine d'années.
La photographie est magnifique, les univers oniriques, démentiels, colorés. Et un Mark Ruffalo, acteur que j'adore, dans un rôle à contre-emploi où il est génialement ridicule.
Les vacances de Février ont aussi été l’occasion d’enfin voir le fameux Barbie, de la réalisatrice Greta Gerwig. Et bien, j'ai adoré. Sa légèreté fait du bien, Ryan Gosling, aussi à contre-emploi, est à mourir de rire dans son rôle de Ken désespéré et prêt à tout pour que Barbie le regarde. Et j'ai trouvé hyper puissant le moment où Barbie quitte BarbieLand (monde imaginaire où les femmes sont Présidentes, Prix Nobel et sénatrices, bref, un monde gouverné par les femmes). Barbie découvre alors notre monde à nous, où marcher dans la rue devient hostile, où son corps ne lui appartient plus dans l'espace public, et où même les femmes se jugent entre elles "trop ci" ou "pas assez ça"et se mettent des bâtons dans les roues. Bref, Barbie découvre le patriarcat, et ça pourrait être drôle, si ce n'était pas horriblement vrai. Toujours aussi déroutant de voir comment on a été programmé·es pendant tous ces siècles pour trouver cet état de fait "normal".
Pour clore sur les sujets féministes, j'ai adoré la réponse d'Agnès Jaoui dans une interview à l'occasion de la sortie de son film"Le dernier des juifs" (à part la dernière phrase qui retombe dans l'écueil de se juger les unes les autres en tant que femmes) :
A la question un peu étrange “Vous n’hésitez pas à jouer des rôles de mères et de femmes mûres, est-ce par féminisme ?”, Agnès Jaoui répond : "Par normalisme ! Ce qui n’est pas normal, c’est de faire croire qu’une femme peut vieillir sans rides ou sans bidon, et qu’elle fera du 36 toute sa vie. Ce qui est anormal, c’est une Josephine plus jeune que Napoléon dans le film de Ridley Scott, alors qu’elle avait six ans de plus que lui. Bien sûr, un cinéaste peut être tenté d’embellir le réel. Mais l’embellit-on en le formatant ? Mon ego esthétique n’est pas toujours flatté quand je me vois à l’écran, mais voilà, j’ai l’âge que j’ai. Tant mieux si cela peut réconforter le public féminin de ne pas toujours avoir à se comparer à des bombasses en plastique."
Le silence enfin, et puis le vent
Je terminerai ce billet par le silence, que j'affectionne et que je trouve si puissant.
Quelques phrases glanées ici et là qui ont donc forcément résonné :
“Le silence, ce n’est pas l’absence de quelque chose, mais la présence de tout”. Et que je trouve si juste. A quand remonte vos derniers longs moments avec du silence ? Il s'y passe des choses assez intéressantes. Et le pire est que le silence devient un luxe.
Je me suis aussi notée la nécessité que nous avons de réussir à nous extirper du trop : trop vite, trop de sollicitations, trop de notifications, trop de bruit, trop d'informations, de contenus... très bien résumée dans cette expression que j'ai découverte : le nécessaire passage du FOMO (Fear of missing out) au NOMO (Necessity of missing out).
Merci à Julien et à sa newsletter Screenbreak pour le nécessaire rappel.
Je terminerai en vous partageant ce poème de Sean Thomas Dougherty, que je trouve beau :
Pourquoi se préoccuper d’écrire ? Parce que quelque part dans le monde il y a quelqu’un dont le chagrin a la forme exacte de tes mots.
Why bother : because right now there is someone / out there with / in a wound in the exact shape / of your words.
Je vous souhaite plein de solidarité et de belles explorations - silencieuses ou pas.
Je vous embrasse
Marine, d'En Crise
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As usual, une magnifique, efficace et bouleversante newsletter, à ton image, Marine. Je ne peux que te donner raison dans ton propos mais surtout dans la façon dont tu amènes et défends ton propos. Merci de nous enchanter avec tes papiers. C'est une bulle de pur bonheur.
Je suis allée voir Passeport et j'ai a-do-ré :)